De l'Orient au Léman, l'itinéraire rêvé d'un sommelier autodidacte
Par Alexander Zelenka dans Terre et Nature
Après un parcours hors norme dans le monde du vin, dont quatre ans en tant que chef sommelier à l'Hôtel-de-Ville de Crissier (VD), Michele Caimotto a fondé sa société de Aconseil, Wine Rose.
Avec lui, tout paraît naturel, limpide, évident. Conseiller des people dans un restaurant trois étoiles? Facile. Gérer une cave de 45 000 bouteilles? Aucun problème. Choisir parmi des centaines de références les crus les plus aptes au vieillissement? Easy, sourit le sommelier polyglotte. Adossé à un banc face au lac, sur les hauts de Saint-Saphorin (VD) où il nous a donné rendez-vous, Michele Caimotto déroule le fil de son incroyable parcours.
A bord de l'Orient Express
Fils de restaurateurs, natif de la région de Venise, Michele est, comme dit l'expression consacrée, tombé tout petit dans la marmite. Dans un premier temps, il n'envisage pourtant pas la restauration autrement que comme un travail alimentaire. À côté de ses études au gymnase, où il se découvre une a nité avec l'électronique, il fait des extras régulièrement. «Je me suis dit que si cela devait être un gagne-pain, autant bien faire les choses.» Fort de l'expérience ac- quise très jeune dans le restaurant familial, Michele Caimotto se fait engager comme chef de rang dans un établissement étoilé de Padoue, la Montecchia, tenu par un chef inspiré et inspirant. Si à ce stade de sa carrière, les contacts avec le monde du vin sont limités, cela ne va pas durer. Alors qu'il commence des études en biomédecine - il s'intéresse en particulier à la compatibilité entre différents type de matériaux, comme la céramique et les os - Michele Caimotto décroche un job de rêve: chef de rang à bord de l'Orient Express, ce train mythique qui relie Paris à Istanbul. «Après un an et demi passés à voyager à raison de trois à cinq jours par semaine, je commençais à devenir claustrophobe. J'ai demandé un congé non payé.»
Mais il faut croire que le travail lui colle à la peau puisque deux jours plus tard, il obtient un poste de commis sommelier, au Grand Hotel Park de Gstaad. L'expérience le ravit autant que ses supérieurs qui, dans la saison en cours, lui proposent une place de sommelier au Burj Al-Arab de Dubai, appartenant à une chaîne hôtelière des Emirats Arabes Unis. «En tant que troisième sommelier, j'étais en charge de deux de leurs sept restaurants, de la sélection d'une partie des vins ainsi que de la formation de l'équipe de sommellerie. Beaucoup de mes collègues là-bas n'avaient d'ailleurs jamais vu de vigne. Mais leur désir d'apprendre était si grand qu'il compensait le manque d'expérience.» Pour le jeune homme qu'il est alors, côtoyer une centaine de nationalités et presque autant de cultures vaut son pesant d'or.
L'appel de Philippe Rochat
Le temps d'une saison, Michele rejoint un autre établissement étoilé, dans le Lubéron (F), puis repart à Gstaad, où il travaille par intermittence durant deux ans, en qualité de chef sommelier. Il en profite pour effectuer des stages d'observation dans de grandes maisons, dont l'Hôtel-de-Ville de Crissier, alors dirigé par Philippe Rochat.
«Quelques mois plus tard, il m'a rappelé pour me proposer la place de chef sommelier.» Une opportunité exceptionnelle, sachant que Michele Caimotto n'a même pas trente ans. Il passera quatre ans dans cet établissement, veillant sur une cave de 2800 références. Une expérience extraordinaire marquée par une quête perpétuelle de la perfection, que Michele poursuit désormais en indépendant avec sa société Wine Rose, fondée en 2015. «Après quasi douze ans de travail non stop, je cherchais une autre manière de vivre le produit et les relations humaines. Car à force de tout donner, jour après jour, on finit par s'épuiser et on sèche.» Visiblement épanoui dans sa nouvelle vie, le sommelier devenu indépendant prodigue désormais ses conseils à une clientèle d'amateurs éclairés, entreprises et restaurants qui le sollicitent pour la gestion des achats de cave, la sélection des vins ou bien pour l'organisation d'événements comme de voyages viticoles à travers l'Europe. «Je cible un petit public, pas la masse. Dans mon activité de conseil, j'essaie d'amener la qualité, les valeurs, le partage, la confiance. Je suis difficile dans la sélection, mes clients savent qu'ils peuvent me suivre les yeux fermés.»
Avide de découvertes, Michele Caimotto arpente avec une curiosité que le temps n'émousse pas les vignobles de Suisse et d'ailleurs, notamment pour goûter de nouveaux vins - en moyenne 200 par semaine! «Chaque année, j'essaie de prendre quelques semaines pour suivre le cycle de la vigne. J'aime particulièrement participer à la taille hivernale et printanière. J'apprécie aussi beaucoup la convivialité des vendanges, de même que le travail en cave.» Sensible à la philosophie des vignerons, Michele Caimotto privilégie ceux qui respectent la nature et les sols. Trop diplomate pour mettre en avant un vignoble ou un vigneron plutôt qu'un autre, quand on lui demande ses préférences, il répond: «La Suisse a été un pays si généreux avec moi qu'il serait injuste de se livrer à pareil exercice. Ce qui est sûr, c'est que je suis loin de tout connaître, tant le terrain de jeu est vaste.» Avec la rose des vins comme étendard, Michele Caimotto trace sa route en solo, en autodidacte de l'excellence. Au vu de ses compétences et de son charisme, nul doute que le succès l'accompagnera.